Dans le cadre du projet InterReconnaissance (Saillant et Lamoureux, 2018), 37 entretiens ont été réalisés avec des personnes gaies, lesbiennes et trans identifiées par un comité de « sages » comme ayant joué un rôle important dans les luttes pour les droits sociaux au cours des dernières décennies. Pour les décennies 1970 et 1980, les témoignages des acteurs-témoins gais s'articulent autour de deux thèmes prédominants : la répression policière et la pandémie du VIH/sida. Les arrestations massives au bar Truxx en octobre 1977 ne sont pas les premières du genre, mais elles constituent un moment clé de la mémoire collective en tant que déclencheur d'une mobilisation ayant mené à l'inclusion de l'orientation sexuelle dans la Charte québécoise des droits et libertés. La mémoire des témoins gais continue d'être ponctuée par ce thème avec le rappel d'opérations policières dans les bars et les saunas qui se sont poursuivies par la suite, jusqu'à la répression brutale d'une rave party queer, le Sex Garage, en 1990 et du kiss-in qui s'en est suivi en guise de protestation, un événement qui sera l'un des déclencheurs d'une démarche d'enquête de la Commission des droits de la personne. Bien que les espaces commerciaux de rencontre fréquentés par des lesbiennes aient eux aussi fait l'objet d'une surveillance policière, le discours des actrices-témoins de cette époque s'articule principalement autour de l'invisibilité sociale du lesbianisme.
Au-delà des événements eux-mêmes, j'aimerais interroger les conditions d'inscription de tels événements dans la mémoire collective en partant de l'exemple québécois. Pour les témoins les plus âgés, les événements du Truxx étaient relus comme le Stonewall québécois alors que pour la plus jeune génération, c'est la répression du Sex Garage qui est ainsi réinterprétée. Dans les deux cas, la mémoire s'est nourrie des commémorations annuelles (défilés). L'inscription dans la mémoire historique va aussi de pair avec l'importance des mobilisations politiques et les gains tangibles auxquels elles ont donné lieu sur les plans politique et législatif. En d'autres termes, ces deux épisodes constituent aussi un des jalons de l'histoire officielle reconstruite du point de vue gouvernemental. Enfin, un autre élément déterminant de la construction de la mémoire collective est la production d'archives et de récits historiques, qui font revivre les événements et les rappellent aux plus jeunes générations.
Intervenante
Line Chamberland est professeure au département de sexologie de l'Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de recherche sur l'homophobie. Outre ses travaux sur les discriminations et autres formes d'exclusion envers les minorités sexuelles et de genre, elle s'est intéressée à l'histoire des mouvements gais et lesbiens au Québec.