Cette communication se propose d'étudier le rapport qu'entretiennent des personnes en demande d'asile au motif de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre aux établissements commerciaux LGBT+ (bars, boîtes, saunas) parisiens. Quelle accessibilité pour cette population à ces lieux ? Quelles pratiques en sont faites ? Pour répondre à ces questions, je m'appuierai sur une série d'entretiens réalisés avec des demandeur.se.s d'asile et réfugié.e.s de différentes nationalités, complétée par un matériau ethnographique constitué à partir d'une participation observante de deux ans dans une association spécialisée dans l'accompagnement de ces personnes dans leur procédure de demande d'asile.
Il apparaît dans un premier temps que ces établissements peuvent être le lieu de différentes marginalisations pour les demandeur.se.s d'asile, que ce soit en termes de classe, de race et de genre, voire de situation administrative. Plusieurs recherches ont en effet documenté la façon dont les établissements commerciaux LGBT+ pouvaient s'avérer difficiles d'accès pour différents groupes dans un contexte néolibéral et homonormatif (Held, 2017 ; Lewis, 2017 ; Prieur, 2015 ; Manalansan, 2005). L'espace parisien ne fait pas exception et les rapports de pouvoir dans lesquels s'inscrivent ces demandeur.se.s d'asile conduisent une partie d'entre elles et eux à renoncer a priori à fréquenter ces lieux ou bien à en conditionner leurs pratiques. Entre mise à l'écart et sentiment de ne pas être à sa place, il s'agira d'analyser les façons dont différents types de marginalisation peuvent se déployer. Il convient cependant de se prémunir de toute vision normative : si certain.e.s souffrent d'un accès difficile à ces lieux, d'autres n'aspirent pas à les fréquenter.
Mais pour celles et ceux qui le souhaitent, ces marginalisations multiples ne sont pas pour autant toujours synonyme d'absence de pratiques de ces lieux. Dans la lignée des critical refugee studies invitant à prendre en considération l'agency des personnes réfugiées trop souvent appréhendées sous le prisme de la victimisation (Ehrkamp, 2016), il s'agira de porter une attention particulière aux stratégies mises en place pour pratiquer ces lieux malgré tout. Cette négociation des rapports de pouvoirs permet non seulement de profiter de ces espaces, mais également d'en faire de véritables lieux ressources pour des personnes souvent isolées et récemment arrivées en France.
C'est à la lumière de cette tension entre espaces marginalisant et espaces ressources que je propose d'analyser le rôle que peuvent jouer les établissements commerciaux LGBT+ pour des demandeur.se.s d'asile.
Bibliographie
Ehrkamp Patricia, 2016, « Geographies of migration I : Refugees », Progress in Human Geography, vol. 41, no 6, p. 813‑822.
Held Nina, 2017, « ‘They look at you like an insect that wants to be squashed': An ethnographic account of the racialized sexual spaces of Manchester's Gay Village », Sexualities, vol. 20, no 5‑6, p. 535‑557.
Lewis Nathaniel M, 2017, « Canaries in the mine? Gay community, consumption and aspiration in neoliberal Washington, DC », Urban Studies, vol. 54, no 3, p. 695‑712.
Manalansan IV Martin F., 2005, « Race, Violence and Neoliberal Spatial Politics in the Global City », Social Text, vol. 23, no 3-4 (84-85), p. 141‑155.
Prieur Cha, 2015, « Du quartier gay aux lieux queers parisiens : reproduction des rapports de domination et stratégies spatiales de résistance » dans Espace et rapports de domination, Presses Universitaires de Rennes, p. 254‑266.
Intervenant
Florent Chossière est en deuxième année de doctorat de géographie à l'Université Paris-Est Marne-la-Vallée, rattaché au laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs. Sa thèse porte sur les trajectoires socio-spatiales de personnes demandant l'asile au motif de leur orientation sexuelle ou identité de genre en France.